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Les dérapages des « contrôles d’identité au faciès »

Les dérapages des "Contrôles d'identité au Faciès"

Le contrôle d’identité de Théo, 22 ans, a viré au cauchemar. En lisant son témoignage resurgit le spectre des « contrôles au faciès ».

Des contrôles qui venaient (enfin !) tout juste d’être censurés par la cour de cassation et le conseil constitutionnel.

Au regard de ce que subissent les victimes de discriminations, il semblait impératif de revenir en détail sur le nouveau cadre juridique du contrôle d’identité, pour que chacun connaisse et fasse valoir ses droits.

Les statistiques officielles ?

Par rapport à une personne de « race blanche » :

  • Un homme jeune de minorités visibles portant des vêtements prisés par les jeunes générations issues de quartier défavorisé aura 10 fois plus de chance d’être contrôlé.
  • (Étude Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales – 2009)
  • Une personne d’origine maghrébine à 14 fois plus de chance d’être contrôlée
  • Une personne à la peau noire à 11 fois plus de chance d’être contrôlée.
  • Un jeune des banlieues portant des vêtement à « la mode des banlieues » aura jusqu’à 16 fois plus de chance d’être contrôlée ( jean « baggy », survêtements…)

(Institut National des Études Démographiques – 2012)

Les critères sont le sexe, l’âge et la couleur de la peau : Une sélection discriminatoire par excellence.

Que dit la loi ?

L’article 78-1 du code de procédure pénale prévoit que «  Toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité… ». Cela signifie que l’on ne peut pas se soustraire à un contrôle d’identité. Si l’on refuse c’est une rétention de 4 heures qui, si elle se prolonge, se transforme en garde à vue pour vérification.

La loi encadre 9 sortes de contrôle d’identité différents selon les buts et l’infraction recherchés (droit des étrangers, contrôles routiers, travail illégal…) qui sont détaillés sur le site.

Ceux qui posent régulièrement des problèmes de discriminations sont les contrôles effectués sur la base des articles 78-2 du code de procédure pénale: Le contrôle d’identité effectué à l’initiative d’un Officier de Police Judiciaire (OPJ), ou d’un Adjoint de Police Judiciaire (APJ) placé sous ses ordres et de l’article 78-2-2 du code de procédure pénale: Le contrôle d’identité à l’initiative du procureur de la République.

Le point commun entre ces deux contrôles d’identité est qu’ils sont faits :

  • Sans aucune condition tenant au comportement de la personne contrôlée (tout le monde est visé)
  • Sans aucune obligation pour l’OPJ et APJ de justifier les raisons objectives pour lesquelles elles choisissent de contrôler telle ou telle personne.

Les textes actuels pourtant modifiés par la loi n°2016-274 du 7 mars 2016, pour répondre aux critères posés par la CEDH, n’offrent donc aucunes garanties suffisantes contre les contrôles discriminatoires.

Le problème ?

Les forces de l’ordre n’ont pas à s’expliquer. Ils peuvent agir de leur propre initiative ou brandir la réquisition du procureur de la République, un sésame qui leur permet de contrôler toute personne circulant sur la zone et aux horaires prédéfinis.

Les victimes de discriminations n’ayant aucun élément de preuve à produire devant le juge, si ce n’est leur intime conviction, renonçaient à faire valoir leur droit.

Jusqu’à ces 13 plaignants ayant subi des contrôles d’identité musclés (tutoiements, fouilles, palpations…) et discriminatoires, décident de mener le combat judiciaire contre l’Etat.

La Cour d’appel

La Cour d’Appel de Paris a rendu 13 arrêts le 24 juin 2015 (n° 346/2015). Elle a retenu la responsabilité de l’État dans cinq cas pour lesquels il existent des « présomptions graves, précises et concordantes »  démontrant que les contrôles se fondaient sur « l’apparence physique et de l’appartenance, vraie ou supposée à une ethnie ou une race ».

Elle relève également le problème de preuve auquel se heurtent les victimes de discriminations. En effet, en l’absence de récépissé ou d’enregistrement des contrôles effectués, elles ne peuvent pas démontrer le délit de faciès, ce qui constitue une violation du droit à un recours effectif protégé à l’article 13 de la CEDH.

Un pourvoi est formé contre les 13 arrêts. L’état joue très gros dans cette affaire, le risque de pouvoir contester le choix jusque-là discrétionnaire du contrôle d’identité et la possibilité de retenir sa responsabilité… Il suffit d’une décision pour changer la jurisprudence. C’est comme ouvrir la boîte de Pandore, d’autant que des procès en chaîne se profilent déjà à l’horizon.

La Cour de cassation

Et c’est ce qui est arrivé le 9 novembre 2016. Un arrêt est cassé pour des raisons de procédures, les autres décisions ont été confirmées mais, et c’est assez rare pour être souligné, la cour de cassation a estimé qu’il y avait dans un dossier la preuve d’une discrimination entraînant la responsabilité de l’État pour faute lourde !

« … que, se fondant sur un témoignage, (…) les opérations de contrôle ont visé, durant une heure trente, de façon systématique et exclusive, un type de population en raison de sa couleur de peau ou de son origine ; (…) que M. X apportait des éléments de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination ;

Attendu, ensuite, (…) que l’Agent judiciaire de l’État ne démontrait pas en quoi ce contrôle d’identité était justifié par des circonstances objectives, étrangères à toute discrimination ; (…) que la responsabilité de l’État se trouvait engagée sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire… » (Cass. civ., 1ère du 9 novembre 2016, n°15-25.873)

Cet arrêt donne la nouvelle règle du jeu en matière de contrôle discriminatoire et ce, en 3 temps :

  • Elle pose le principe qu’un contrôle d’identité discriminatoire engage la responsabilité de l’État pour faute lourde.

Elle applique donc aux contrôles d’identités l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire (COJ) selon lequel, « l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ».

  • Elle définit la discrimination…

« Il y a discrimination si le contrôle d’identité est réalisé sur la seule base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée... »

  • … Et le régime de la preuve permettant au juge de déterminer s’il y a eu, ou non, discrimination
  • La personne qui a fait l’objet d’un contrôle d’identité doit apporter au juge des éléments qui laissent présumer l’existence d’une discrimination.

Jusqu’à présent on s’arrêtait là. Mais les juges de cassation imposent désormais que :

  • L’administration démontre à son tour, soit l’absence de discrimination, soit une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs

Non seulement les juges reconnaissent l’existence de contrôle au faciès, mais ils facilitent également l’action des futurs plaignants en imposant aux forces de l’ordre de prouver que les contrôles d’identité se fondent sur des raisons objectives et non sur l’apparence… En clair elles devront toujours répondre à la question : Pourquoi contrôler celui-là plutôt qu’un autre

Le contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, est discriminatoire. Il s’agit alors d’une faute lourde qui engage la responsabilité de l’État.

Et cela va plus loin…

Alors qu’elle statuait sur cette affaire, la cour de cassation a saisi le conseil constitutionnel le 24 octobre 2016 sur deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives à la conformité des articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale, avec la constitution.

(La 2ème question concernait les contrôles applicables aux étrangers qui eux, ont été jugés conformes)

La QPC du conseil constitutionnel

Le Conseil des sages a rendu son avis n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017 M. Ahmed M. et autre. (Oui… le 17 janvier 2017, soit bien après que les juges aient statué sur les pourvois !)

Les sages, encore frileux sur cette question, ont rendu un avis très implicite mais… incisif. C’est très subtil, car ses réserves visent directement le procureur de la République.

« D’une part, le procureur de la République ne peut retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions. D’autre part, le procureur de la République ne peut, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, autoriser la pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace. »

En pointant du doigt l’action du parquet, l’avis du conseil constitutionnel n’est pas sans rappeler la position de la Cour européenne des droits de l’Homme.

La CEDH

La Cour européenne est très sévère sur les contrôles d’identités pour violation du principe de la libre circulation des personnes (CJUE du 22 juin 2010, arrêts A. Melki et S. Abdeli ).

Mais le point litigieux concerne le rôle et les fonctions des procureurs en droit interne. Ces derniers représentent, selon les articles 12 et 13 du code de procédure pénale, l’autorité judiciaire en charge de surveiller et de diriger les contrôles d’identité effectués par les forces de l’ordre. Le problème ? La CEDH a toujours nié au parquet la qualité d’autorité judiciaire.

La cour européenne a par deux arrêts fermement condamné la France au motif que « Les procureurs, qui ne sont indépendants ni du pouvoir exécutif ni des parties du procès, puisqu’ils engagent les poursuites et dirigent les enquêtes, ne sont pas des autorités judiciaires… ».

(CEDH du 29 mars 2010, Medvedyev c/ France et CEDH du 23 novembre 2011 Moulin c/ France, relatifs à des gardes à vues décidées par le parquet jugées illégales)

Et c’est vrai… Le parquet est une hiérarchie avec au sommet un pouvoir politique : Le garde des sceaux, ministre de la justice.

Une réforme législative pour encadrer les contrôles d’identité s’impose, tout le monde la réclame, mais cela passerait nécessairement par la remise en cause du parquet… Donc, pour l’éviter, le législateur pose des rustines à l’article 78-2 du code de procédure pénale, comme il l’a fait en 2016.

Un cap important venait d’être franchi, car en levant les 2 verrous qui empêchaient les victimes de discriminations d’agir efficacement en justice, la Cour de cassation a posé des jalons qui permettront de lutter plus efficacement contre les contrôles au faciès.

Mais, à la lumière de ce qu’à subi le jeune Théo, il reste encore du chemin à faire…

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