Chronique d'une fin annoncée des juridictions de proximité

Les juridictions de proximité ont été créées par une loi organique du 26 février 2003 et les a rattachés aux tribunaux d’Instance (TI). Après seulement 8 ans d’existence, la loi du 13 décembre 2011 les a supprimés. Cette disposition entrera en vigueur au 1er janvier 2017.

Mais alors, me direz-vous, pourquoi s’intéresser à un juge voué à disparaître d’ici peu ? Eh bien parce qu’à l’heure où ces lignes sont écrites il existe toujours et, point plus important, si la loi supprime la juridiction de proximité, elle ne supprime pas l’office de ces juges qui, rattachés au Tribunal de Grande Instance à compter du 1er janvier 2017, exerceront de nouvelles fonctions.

Raisonnement étrange mais compréhensible à un moment où le manque de magistrat se fait cruellement ressentir, il serait dommage de se priver de personnes expérimentées et cela peut toujours servir… Leurs affaires ont d’ores et déjà été redistribuées aux juges d’instance et il est prévu de les garder comme assesseurs aux audiences correctionnelles et de leur confier des missions d’instruction auprès des chambres civiles.

Il apparaissait donc intéressant de revenir sur les fonctions du juge de proximité pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné avec ces juge de paix des temps modernes.

Une idée pleine de bonnes intentions

Au départ, la création des juges de proximité n’avait qu’un seul but, désengorger les tribunaux d’instance qui croulent sous ce qu’on appelle « le contentieux de masse ». C’est-à-dire les petites affaires de la vie courantes qui, en principe, de par leur simplicité et leur évidence, ne requièrent pas de longs discours. Juste une solide formation de droit.

Donc au lieu de créer des postes de magistrats professionnels, le choix s’est porté sur le recrutement de personnes issues de la société civiles ayant exercé des fonctions judiciaires durant 4 ans ou une expérience de 25 ans dans une entreprise privée et étant âgé d’au moins 35 et d’au plus 75 ans.

Recrutés sur dossier, ils devaient suivre un stage de 10 jours à l’École Nationale de la Magistrature, un stage probatoire en juridiction de 25 à 35 jours et une formation continue à raison de 5 jours par an. Soumis au statut de la magistrature, ils ont prêté serment, mais ne portent pas de robe, à la place ils arborent une médaille. Ils sont inamovibles (pour assurer leur indépendance) et peuvent exercer une autre profession.

Mais… L’enfer est pavé de bonnes intentions

Très souvent, les juges de proximité sont d’anciens juges, avocats ou professeurs de droit. Ce sont donc des personnes qui connaissent le droit, peut être un peu trop… Car le problème souvent rencontré dans ces juridictions est une trop stricte application des règles de droit avec des résultats allant parfois à l’opposé de ce que l’on attendait d’eux.

1ère difficulté un faible taux de ressort ne détermine pas la difficulté juridique

Pour s’assurer que seuls les litiges de moindre importance leur seraient dévolus, le législateur a veillé à limiter leurs compétences à la somme de 4000 euros (3000 euros au moment de leur création). Ce qui laisse le champ libre à tous les contrats de vente, de services… (Sauf les crédit à la consommation).

Oui mais voilà ! Rien n’est jamais simple avec le droit ! Une somme d’argent n’a jamais permis d’évaluer la difficulté juridique d’une affaire. Une robe abîmée au pressing, un ordinateur défectueux… C’est moins de 4000 euros, mais cela peut très vite devenir un beau casse tête juridique. Surtout au moment de se pencher sur les questions de résolution, d’annulation, ou de révocation d’un contrat… Ou qu’il faut déterminer les responsabilités des parties au cours de l’exécution d’un contrat…

En droit le diable se cache dans les détails et l’affaire la plus anodine peut cacher un monstre tentaculaire qu’il aurait mieux valu confier à un juge professionnel. Certes le juge de proximité résoudra le litige, mais il ne s’agira plus de traiter du contentieux de masse.

2ème difficulté : les règles de procédure

Un requérant va saisir le juge par déclaration au greffe et demander au principal le remboursement de son ordinateur ou d’un réfrigérateur… La demande est chiffré, c’est moins de 4000 euros, donc tout va bien.

Mais le justiciable prévoyant, va également demander à titre subsidiaire l’annulation de la vente, juste au cas où… C’est du bon sens.

Mais c’est souvent là que tout devient compliqué ! Pourquoi ?

Parce qu’en droit, une demande d’annulation (comme la remise en état ou une demande d’expertise …), c’est une demande indéterminée.

Et cela ne se fait pas par déclaration au greffe mais par voie d’assignation. Tout ce qui n’est pas chiffré (les obligations de faire ou de ne pas faire) est une demande indéterminée. Le juge de proximité va donc rejeter toutes vos demandes sans même statuer. Et la cour de cassation va lui donner raison parce que l’article 843 du code de procédure civile le prévoit expressément.

Vous voyez le problème ? Au lieu de désencombrer les tribunaux on multiplie les recours.

Pourquoi ? Parce que notre justiciable ne comprend pas ces subtilités procédurales. Il n’avait qu’à prendre un avocat, me direz-vous ? Oui, certes, ou… le juge aurait pu lire son dossier à l’avance, anticiper le problème juridique, écouter le demandeur et… lui suggérer de modifier ses demandes à l’audience.

3ème difficulté : de l’écoute et de l’attention portée à autrui

Cela fait partie de la déontologie du magistrat d’écouter les demandes et d’expliquer au justiciable se présentant seul à l’audience, ce qui est en train de lui tomber sur la tête.

Attention, on n’est pas chez tata Monique, ni au salon de thé et encore moins en fac de droit. Le juge peut réorienter un dossier mal engagé, mais pas agir à la place du justiciable, ni le conseiller comme le ferait un avocat. Cependant, il peut s’adapter aux personnes les plus démunies (qui sont souvent celles que l’on retrouvait devant les juridictions de proximité) et faire en sorte que le demandeur comprenne que sa demande était mal faite. Cela l’aurait incité afin à revoir sa copie au lieu de se ruer en cassation.

Certes, cela ne concerne pas tous les juges de proximité dont certains ont su faire preuve de tact et de pédagogie. Mais force est de reconnaître que le fossé d’incompréhension creusé entre les justiciables et les juges de proximité n’a fait qu’accélérer leurs suppressions.

Bref, il faut de solides compétences. Mais pas seulement, car l’attitude, le tact et la délicatesse compte pour beaucoup dans l’action de juger.

Juger c’est aussi savoir écouter et comprendre la demande du justiciable. Les magistrats professionnels ayant vu leur image sévèrement écorchée par la tornade d’Outreaux (Oui… encore elle !) ont eu tout le temps de réviser leur déontologie.

Mais quand on lit certaines décisions… Il est évident que l’information n’a pas été diffusée. Un exemple de motivation rendu par un juge de proximité ? Un seul. Et Franchement en matière de prose « héroïque » nous n’avons pas trouvé pas mieux.

« la piètre dimension de la défenderesse qui voudrait rivaliser avec les plus grands escrocs, ce qui ne constitue nullement un but louable en soi sauf pour certains personnages pétris de malhonnêteté comme ici Mme X… dotée d’un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane, ses préoccupations manifestement strictement financières et dont la cupidité le dispute à la fourberie, le fait qu’elle acculait ainsi sans état d’âme et avec l’expérience de l’impunité ses futurs locataires et qu’elle était sortie du domaine virtuel où elle prétendait sévir impunément du moins jusqu’à ce jour, les agissements frauduleux ou crapuleux perpétrés par elle nécessitant la mise en oeuvre d’investigations de nature à la neutraliser définitivement »

« que si la présente juridiction conçoit aisément que les requérants aient dû recourir à des attestations pour étayer leurs allégations, elle ne saurait l’accepter de la bailleresse, supposée de par sa qualité, détenir et produire à tout moment, sauf à s’en abstenir sciemment et dès lors fautivement, tous documents utiles, que si Mme X… disposait d’éléments autrement plus probants mais certainement très embarrassants à produire auprès de la juridiction de céans que toutes les attestations sans exception aucune, de pure et manifeste complaisance dont elle a cru mais à tort qu’elles suffiraient à corroborer ces allégations, il échet de déclarer ces dernières mensongères et de les sanctionner »

Voilà une littérature qui fait (toujours) aussi froid dans le dos. Et comme il ne pouvait être fait appel de la décision (les juges de proximité jugent en premier et dernier ressort) le jugement a atterri directement en cassation pour y être cassée de manière lapidaire (2éme ch. civ ; 14 décembre 2006, n° 04 -20524).

Bon inutile de préciser qu’elle a fait beaucoup de bruit et de mal à l’image de la justice de proximité (Et certainement plus au requérant!) mais cela valait la peine d’en reprendre de larges extraits comme piqûre de rappel. De toute façon, méfiez- vous toujours d’une décision qui utilise des termes comme « il échet », des termes aussi éculés dans un jugement ne présagent rien de bon.

Vers une mission de conciliation ?

Une nouvelle voie s’offre à eux. Le décret du 1er avril 2015 (n° 2015-282 du 11 mars 2015) impose aux demandeurs souhaitant intenter une action devant une juridiction civile doit au préalable avoir fait tout son possible pour trouver une solution amiable.

Pour pallier au manque crucial de conciliateurs dont la tâche s’avère immense, il serait question de les fusionner avec les conciliateurs pour créer les « conciliateurs juges de proximité ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *