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La fouille à nu pour mater les détenus ? Que dit la loi ?

La fouille à nu pour mater les détenus ? Que dit la loi ?

Les surveillants pénitentiaires ont lancé un mouvement de grève suite à l’agression de six collègues dans une prison pour mineur (cela prouve que contrairement à ce que disent nos politiques les mineurs aussi vont en prison !).

Avec la généralisation d’intrusion d’objets venant de l’extérieur (stupéfiants, téléphones portables), la radicalisation, et la surpopulation… tout le monde s’accorde à reconnaître que les conditions de travail des gardiens de prison sont devenues difficiles.

Mais on s’étonne en entendant que leur principale revendication face à ce climat de violence ne porte pas que sur l’augmentation des moyens humains et financiers pour construire de nouvelles prisons, ou améliorer les conditions carcérales… Non, ils réclament en priorité l’abrogation de la loi actuelle qui réglemente la fouille intégrale des détenus. Et pas pour mettre fin à cette pratique dégradante, mais pour, au contraire, l’exercer à leur convenance.

Pourquoi de telles revendications ? Pour le comprendre, voyons ce que prévoit la loi.

L’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a réglementé les fouilles intégrales en interdisant leur généralisation. Elles ne peuvent être envisagées que si la fouille par palpation ou les moyens de détection électronique (portiques et détecteurs à métaux) s’avèrent insuffisants.

Ensuite, pour l’exercer les gardiens doivent justifier la fouille à nu du détenu par :

  • la présomption d’une infraction : Il doit exister un soupçon qu’un détenu a introduit des objets ou des stupéfiants transmis, par exemple, au cours d’un parloir.

Et

  • la personnalité du détenu : C’est-à-dire ceux ayant un profil dangereux faisant courir un risque à la sécurité des personnes ou au maintien du bon ordre dans l’établissement.

Cette loi a été modifiée le 3 juin 2016, pour autoriser des fouilles intégrales collectives s’il existe des soupçons d’introduction d’objets ou de substances illicites et ce, sans considération du profil du détenu : Une fois décidée, tout le monde doit y passer.

Cette aggravation de la loi marquait déjà une régression notable en terme des droits de l’Homme, pourtant elle n’est pas appliquée, puisque toutes les études démontrent que les fouilles à nu se sont généralisées en toute illégalité.

La France a déjà été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme selon lequel « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Le conseil d’État a souvent retenu, et notamment dans 2 arrêts du 6 juin 2013, la responsabilité de l’État après avoir constaté l’existence de fouilles intégrales systématiques à toutes les personnes sortant des parloirs dans la prison de Fleury Mérogis.

(sur une période d’un mois et demi il y a eu 10 000 parloirs dont la totalité des détenus a été fouillé à nu !).

La fouille à nu comme moyen de pression est contraire à la dignité humaine et notre loi actuelle est jugée assez peu protectrice envers les détenus.

Pourtant, c’est cette loi, qui leur offre déjà les pleins pouvoirs, que les gardiens de prison veulent voir abroger pour exercer leurs fouilles intégrales de manière discrétionnaire et sans plus avoir à se justifier.

En droit, tout est question d’équilibre. Entre le respect des libertés fondamentales des détenus, les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire, l’amendement de 2016 a déjà, dangereusement, fait pencher la loi en faveur des gardiens de prison.

Difficile d’aller plus loin, d’autant que de telles pratiques laissent augurer peu d’espoir sur un apaisement des conditions carcérales car, comme le relèvent les sages de la Cour européenne des droits de l’Homme :

« Des fouilles intégrales systématiques non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité peuvent créer chez le détenu le sentiment d’être victime de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité, d’angoisse… et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui… peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant celui… que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus ».

(arrêt du 20 janvier 2011 de la CEDH condamnant la France pour traitement inhumain et dégradant)

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