Vices et vertus de l'injonction de payer (l'IP)

Eh oui, c’est très vicieux une injonction de payer ! Pourquoi ? Parce que c’est une requête,et donc, une décision de justice délivrée par un juge à votre créancier au cours d’une audience à laquelle vous ne serez même pas convié.

À mon insu ? me direz-vous, et le principe du contradictoire ? Eh bien juridiquement, les requêtes c’est comme un film d’horreur, son seul intérêt réside dans l’effet de surprise, voire de peur. Et techniquement, le débiteur est bien placé pour savoir qu’il n’a pas respecté ses échéances. A ce stade, il faut agir vite car si la dette s’aggrave, le débiteur ne pourra plus rien payer et très souvent, l’IP suffit à recouvrer les sommes dues, donc… Simplicité, efficacité et rapidité.

Oui, mais si la créance est contestée ? Cela arrive bien plus souvent qu’on ne le croit : Que le crédit ait été souscrit à votre nom par un tiers (souvent par un ex-époux (-se)), que la créance soit déjà payée (par la caution), ou prescrite … Ou, que vous n’ayez tout simplement pas les moyens de payer…

Bref, comment revenir sur une ordonnance d’injonction de payer qui, si elle n’est pas contestée, rendra la créance définitive ?

Eh bien, tout débiteur sera en mesure de passer du cercle vicieux au cercle vertueux, c’est à dire, en faisant valoir son point de vue en audience contradictoire, s’il exerce les voies de droit appropriées dans les délais impartis.

La procédure d’Injonction de Payer

La nature des créances

Sont concernées, selon les dispositions de l’article 1405 du code des procédures d’exécution, les créances d’un montant déterminé qui résultent :

  • d’un contrat (factures, prêt ou découvert bancaire, crédit à la consommation, bail locatif…)
  • d’une obligation de caractère statutaire (cotisation due à une caisse de retraite… )
  • Billet à ordre (art. 1405, 2° du code de procédure civile)
  • L’acceptation d’une cession de créance (art. 313-23 du code monétaire et financier)

– Les dommages et intérêts qu’une personne poursuivie s’est engagée à payer à la victime dans le cadre d’une médiation pénale ou d’une composition pénale. La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 codifiée aux articles 41-1 et 41-2 du code de procédure pénale prévoit qu’il suffit de soumettre au juge d’instance l’ordonnance de validation de la mesure pour se faire délivrer une IP.

À savoir :

La lettre de change bien qu’énumérée à l’article 1405 du code de procédure civile échappe de par sa nature à la compétence du juge d’instance. S’agissant d’un acte de commerce ( art. L. 110-1 du code de commerce) seul le Président du tribunal de commerce sera compétent.

Les créances non visées à l’article 1405 du code de procédure civile ne pourront pas faire l’objet d’une Injonction de payer. Il s’agit :

  • Des créances alimentaires : Dans ce cas il existe déjà un titre, c’est le jugement fixant la pension alimentaire (JAF) qu’il suffira d’exécuter pour recouvrer les sommes dues.
  • Des chèques sans provision : Il faut exercer la procédure spécifique prévue aux articles L. 131-47 et suivants du code monétaire et financier.

Le juge compétent

Plusieurs juges sont compétents pour délivrer une Injonction de payer, tout dépend du montant et de la nature de la créance.

  • Le juge d’instance
  • Pour toutes les créances civiles, même celles supérieures à 10 000 euros ! ( art. 1406 du code de procédure civile)
  • Le Président du tribunal de commerce

Pour toutes les créances de nature commerciales quelque soit le montant (L.110-1 du code de commerce)

Le juge territorialement compétent est celui du lieu où demeure le ou l’un des débiteurs poursuivis ; il s’agit de règles d’ordre public et le juge doit relever d’office son incompétence (article 1406 du Code de Procédure Civile).

La seule exception concerne les demandes formées par un syndicat de copropriétaires à l’encontre d’un ou plusieurs copropriétaires qui doit être portée devant la juridiction du lieu de la situation de l’immeuble.

À  noter:

Depuis le 1er octobre 2016, il convient d’ajouter l’huissier de justice à la liste.

La nouvelle procédure en recouvrement des petites créances (- 4 000 euros) mise en place pour pallier à la suppression des juridictions de proximité à compter du 1er janvier 2017 et codifiée à l’article L.125-1 du code des procédures d’exécution, permet à l’huissier de justice de délivrer un titre exécutoire. En cas de refus de la procédure amiable par le débiteur, le juge d’instance délivrera une Injonction de Payer au créancier.

La Requête en Injonction de payer

La requête peut être déposée par le créancier, l’avocat, l’huissier de justice ou tout mandataire (qui devra être en possession d’un pouvoir) au greffe de la juridiction compétente.

Elle doit comporter les mentions obligatoires prévues à l’article 1407 du code de procédure civile (décret 29 décembre 2009) à savoir toutes les informations utiles concernant  le demandeur (le créancier), le défendeur (le débiteur) sans oublier de produire à l’appui de la demande toutes les précision sur la nature et le montant exact de la créance (en principal et intérêts) ; ainsi que tous les décomptes y afférents et tout éléments justificatifs.

C’est une requête! Donc le débiteur n’est pas informé de la tenue de l’audience.

La requête en Injonction de Payer ne suspend pas la prescription

Le juge peut soit :

  • Rejeter la requête

S’il estime la demande non fondée (doute sur la créance, prescription, montant incertain…), le juge peut rejeter la demande sans avoir à motiver sa décision (article 1409 alinéa 2 code de procédure civile). La décision est insusceptible de recours. Pour recouvrer sa créance le créancier devra intenter une action au fond.

  • Accepter partiellement la demande

Ce cas prévu à l’article 1409 du code de procédure civile, précise que le créancier ayant vu une partie de ses prétentions rejetées par le juge devra faire un choix :

  • Soit la décision lui convient et il la fait signifier.
  • Soit elle ne lui convient pas et il s’en abstient. Il devra engager une procédure au fond pour espérer avoir gain de cause sur toutes ses prétentions.

Les deux options ne sont pas cumulables si le créancier fait signifier l’ordonnance d’injonction de payer, il ne pourra plus saisir le tribunal et agir au fond.

  • Faire droit à la demande

Il faut savoir que même en l’absence du débiteur, le juge pourra vérifier le montant de la somme, diminuer le montant de la clause pénale (art. L.311-30 du code de consommation), ainsi que les intérêts (art. L.311-33 du code de la consommation), accorder des délais de paiement en faveur du débiteur (art. 1422 du code de procédure civile) et vérifier le coût des actes d’huissier.

Mais l’ordonnance ne sera effective que si elle est régulièrement signifiée au débiteur.

 L’ opposition à l’Ordonnance d’Injonction de Payer (OIP)

Une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance doit être signifiée  au débiteur (et s’il y a plusieurs débiteurs, à chacun d’entre eux) à l’initiative du créancier. Sous peine de nullité, elle doit être assortie de la sommation de payer,  contenir les mentions obligatoires, indiquer le montant fixé dans l’ordonnance et préciser les voies de recours.

À défaut de signification dans les 6 mois de sa délivrance, l’Ordonnance d’Injonction de Payer est nulle et non avenue.

A compter de  sa signification,  la voie de recours d’une Ordonnance d’Injonction de payer est l’Opposition.

Si le débiteur ne fait pas opposition

Si l’opposition n’est pas faite dans le mois de la signification, le débiteur n’aura plus aucune voie de recours, l’ordonnance d’injonction de payer devient définitive.

Une fois définitive, le créancier a 1 mois pour demander au greffe par déclaration ou lettre simple, que l’OIP soit revêtue de la formule exécutoire. À défaut, l’ordonnance serait nulle et non avenue (1423 du code de procédure civile).

Dès que la formule exécutoire est apposée, l’ordonnance produit les mêmes effets qu’un jugement contradictoire rendu en dernier ressort. Ce qui ferme la voie de l’appel mais pas celui de la cour de cassation. Cependant, son contrôle sera des plus limité car elle ne se prononcera que sur les modalités d’apposition de la formule exécutoire et pas sur le fond.

Le principe est qu’une fois les délais de l’opposition passés, plus aucun recours n’est possible pour contester le montant ou l’existence de la créance. Le débiteur pourra être poursuivis par son créancier pendant 10 ans, délai correspondant à la prescription de l’exécution d’une décision de justice (avant 2008, c’était 30 ans !).

A ce stade, si le débiteur est dans l’incapacité financière de faire face à ses dettes  la seule solution est de déposer un dossier de surendettement.

C’est pourquoi il ne faut jamais faire l’autruche quand on reçoit une lettre recommandée. En droit, les absents ont toujours torts !  Il est bon de rappeler à cet égard qu’une lettre recommandée qui est refusée (retournée, non signée, non récupérée…) est non seulement réputée avoir été notifiée à la date du refus, ou de la première présentation, mais aussi avoir été lue. Et ce, que vous l’ayez ouverte ou pas !

Pour se faire entendre et faire valoir ses droits, le débiteur qui souhaite contester la créance doit agir très vite. Il n’a qu’1 mois pour former opposition.

Si le débiteur fait opposition

L’opposition doit être formée dans le mois de la signification. En principe l’OIP doit être signifiée à personne (donnée par l’huissier en main propre au débiteur). Si ce n’est pas le cas, le délai pour faire opposition est repoussé jusqu’au premier acte de saisie.

À savoir :

Tant que la signification n’a pas été faite à personne, (soit qu’elle ait été faite à l’étude ou au domicile) le débiteur pourra faire opposition à l’OIP dans le mois suivant le premier acte de saisie (art. 1416 du code de procédure civile).

Généralement, une fois muni de l’OIP, l’huissier va tenter de recouvrer les sommes et faire une saisie (une saisie-vente la plupart du temps). La procédure commence par un commandement de payer suivi dans les 15 jours d’une saisie vente.

Comme le PV de saisie-vente équivaut à un acte délivré à personne, tout débiteur pourra faire opposition à l’OIP dans le mois suivant la saisie. Même si l’OIP date de 6 mois !

En clair, si vous découvrez l’existence de l’Ordonnance d’Injonction de Payer rendue à votre encontre quand l’huissier frappe à votre porte pour effectuer une saisie, car rappelons-le, il est tenu de vous préciser sur quel titre se fondent les actes d’exécution. Vous aurez alors 1 mois pour faire opposition à l’Ordonnance d’Injonction de Payer à compter de ce premier acte de saisie.

L’opposition n’a pas à être motivée. Le débiteur doit la faire par lettre recommandée et l’envoyer au greffe de la juridiction qui a rendu la décision (tribunal d’instance ou de commerce). En principe, rien ne s’oppose à ce qu’elle soit formée par lettre simple mais en termes de preuve et de rapidité, vu la brièveté des délais, il est préférable de privilégier l’envoi en recommandé.

Une fois formée, l’opposition rend l’injonction de payer non avenue.

C’est comme si l’Ordonnance d’Injonction de Payer n’existait plus. Toutes les parties seront alors convoquées à une nouvelle audience contradictoire qui statuera sur le fond. La décision rendue sera un jugement au fond qui se substituera à l’ordonnance.

L’audience sur opposition d’injonction de payer

C’est un retour à une procédure de droit commun. Les parties sont convoquées par lettre recommandées du greffe.

Cependant, même si c’est le débiteur, (en position de défendeur à l’instance d’injonction de payer), qui saisit le tribunal, il sera toujours considéré comme défendeur à cette nouvelle instance. Cela à une incidence, car la charge de la preuve pèsera sur le demandeur qui restera le créancier.

Autres incidences :

  • Si la demande est supérieure à 10 000 euros, le TI ne sera plus compétent, seul le TGI pourra statuer (compétence d’attribution de droit commun).
  • L’huissier ne peut plus représenter le créancier à l’audience.
  • La procédure restera orale (même devant le TGI). Aucun dépôt de dossier ne sera imposé et les parties peuvent se défendre seules.
  • Si une des parties se présente seule à l’audience, le jugement rendu sera contradictoire. Si aucune des parties ne se présente, le juge prononcera d’office l’extinction de l’instance.

Les voies de recours du jugement rendu sur opposition

Conformément aux règles de droit commun :

  • Si c’est le Tribunal d’Instance qui statut (-10 000 euros), le jugement sera rendu en dernier ressort, donc le seul recours possible sera le pourvoi en cassation qui ne statuera que sur l’application des règles de droit.
  • Si c’est le Tribunal de Grande Instance  (+ 10 000 euros) ou le Tribunal de Commerce qui statut, le jugement sera rendu en premier ressort  avec la possibilité de faire appel de la décision.

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2 commentaires

  1. Bonjour
    J ai eu une condamnation de payer en 2005 par le tgi et également d autres dettes de vie courante par le TI, lequel j ai demandé l intervention car différents huisssiers montants non réglée même si je payais frais etc
    A ce jour un de ces huissier revient me relancer avec un itératif de commandement aux fins de saisie vente . Avec le Covid et ayant eu un accident je ne recommence à travailler que maintenant. Que dois je faire ?

  2. Bonjour,
    J’ai rendez-vous devant le tribunal judicaire à la suite d’une opposition que j’ai formulé sur une saisie attribution bancaire correspondant à une injonction de payer émanent de Foncred fond de titrisation ex Credirec, datant de 2002. Pour faire valoir la prescription décennale d’injonction de payer je demande à la partie adverse de me fournir les paiements que j’ai pu effectuer après 2011 (étant dans l’impossibilité de chercher dans mes archives disparues suite à une inondation). Celle-ci me rétorque qu’elle-même n’a plus les justificatifs vu l’ancienneté de l’affaire. Puis-je utiliser cette information pour faire jouer la prescription décennale ?
    D’avance merci de votre réponse.

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